La Ville d’Ys – Références littéraires

 

Pas un homme d’Armorique pour qui la cité d’Is, submergée depuis quinze siècles, n’évoque le souvenir confus d’une patrie perdue…
Quelques unes des meilleures pages de littérature.

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Chanoine Jean Moreau, Mémoires sur les guerres de la Ligues de Bretagne

« La très célèbre et prétendue Ville d’Is »…

… On trouve une autre route conduisant de la ville de Carhaix jusque au rivage de la baie de Douarnenez, distante de Carhaix de douze à treize lieues, faite aussi de telles petites pierres que monsieur Gourmelon, docteur médecin de la ville de Paris, originaire d’environ de Douarnenez, en son recueil des antiquités du pays bas, et principalement de son quartier, comme il me récita à Paris l’an 1585, et néanmoins ne s’en trouve rien par écrit ni populaire, que ce sont les pavés qui aboutissoient de tous côtés à cette très-célèbre et prétendue ville appelée Is en la bouche du vulgaire du pays, qu’ils disent avoir été située ou est présentement la baie de Douarnenez, ou à la pointe du Raz, et qui depuis a été par succession de temps conquise par la mer il y a environ douze ou treize cents ans, savoir est du temps des saints personnages Corentin, Guénolé, Tadec, régnant en ces temps-là en Bretagne le grand roi Gralon, prince et souverain dudit pays de Bretagne, et fondateur de l’église cathédrale de Cornouaille et de l’abbaye de Landévénec, où il est enterré, et le tout arrivé par une juste punition de Dieu pour les péchés du peuple et de ladite ville, se servant de ce furieux élément comme il fait de toutes les autres créatures comme bon lui semble pour punir les iniquités des injustes.

Il se trouve encore aujourd’hui des personnes anciennes qui osent bien assurer qu’aux basses marées, étant à la pêche, qui y est très-fertile, nommément de la sardine, merlus, maquereaux, y avoir souvent vu des vieilles masures de murailles. Que les choses soient vraies ou fabuleuses, l’on ne peut cependant nier qu’il y a eu quelque chose de grand où les chemins qui y conduisent étoient soigneusement dressés et à si grands frais. C’étoit, disoient-ils en cette ville que le roi faisoit sa résidence ordinaire lorsqu’il fit édifier l’abbaye de Landévénec, afin d’entendre plus facilement par mer les nouvelles des pays étrangers et des royaumes voisins et que rien ne se passât à son préjudice. L’on remarque encore que, depuis ce temps-là successivement jusques à présent, en mémoire du fondateur, l’on a toujours religieusement observé que les abbés de cette abbaye, non-seulement sont tenus prendre possession en l’abbaye à la coutume ordinaire des bénéficiers, mais de plus, pour être valable, viennent prendre ladite possession à une grosse pierre qui est sur le sablon de Pentrez, ce qui s’est toujours pratiqué de mémoire d’homme. Je laisse aux lecteurs de décider de ceux qui parlent de cette ville d’Is plus par opinion et par oui dire que par certaine science, disant que Paris tire son étymologie de là, voulant dire que Paris veut dire pareil à Is, et que c’est un composé des deux mots assemblés. Il y a un proverbe ancien du pays, en la langue bretonne : Is ne cavas par da Paris. Cela veut dire que, depuis que la ville d’Is a été submergée, pareil ou pair de Paris l’on n’a vu ni su trouver.

Rochers

Hersart de la Villemarqué, Barzaz Breiz.

1
As-tu entendu, as-tu entendu ce qu’a dit l’homme de Dieu, au roi Gradlon, qui est à Is ?

« Ne vous livrez point au plaisir; ne vous livrez point aux folies. Après le plaisir la douleur !
« Qui mord dans la chair des poissons, sera mordu par les poissons, et qui avale sera avalé.

Et qui boit et mêle le vin, boira de l’eau comme un poisson, et qui ne sait pas, apprendra. »

2

Le roi Gradlon parla :

« Joyeux convives je veux aller dormir un peu.

– Vous dormirez demain matin, demeurez avec nous ce soir ; néanmoins qu’il soit fait comme vous le voulez. »

Sur cela, l’amoureux coulait doucement, tout doucement, ces mots à l’oreille de la fille du roi :

« Douce Dahut, et la clef?

-La clef sera enlevée, le puits sera ouvert ; qu’il soit fait selon vos désirs. »

3
Or, quiconque eût vu le vieux roi endormi, eût été saisi d’ admiration.

D’admiration, en le voyant dans son manteau de pourpre, ses cheveux, blancs comme neige, flottant sur ses épaules, et sa chaîne d’or, autour de son cou.

Quiconque eût été aux aguets, eût vu la blanche jeune fille entrer doucement dans la chambre, pieds nus !

Elle s’approcha du roi, son père, elle se mit à genoux, et elle enleva chaine et clef.

4

Toujours il dort, il dort, le roi. Mais un cri s’élève dans la plaine.

« L’eau est lâchée ! la ville est submergée !

Seigneur roi, lève-toi! et à cheval ! et loin d’ici ! La mer débordée rompt ses digues !

– Maudite soit la blanche jeune fille qui ouvrit, après le festin la porte du puits de la ville d’Is, cette barrière de la mer ! »

5
« Forestier, forestier, dis-moi, le cheval sauvage de Gradlon, l’as-tu vu passer dans cette vallée ?

-Je n’ai point vu passer par ici le cheval de Gradlon, je l’ai seulement entendu, dans la nuit noire : Trip, trep, trip, trep, trip, trep, rapide comme le feu !

– As-tu vu, pêcheur, la fille de la mer, peignant ses cheveux blonds comme l’or, au soleil de midi, au bord de l’eau?

-J’ai vu la blanche jeune fille de la mer, je l’ai même entendue chanter : ses chants étaient plaintifs comme les flots. « 

Gralon2

Paul Féval, la Fée des Grèves.

Les villages noyés

On dit que parfois, quand le vent du nord-ouest laboure profondément les eaux de la baie, on dit que l’oeil du matelot découvre d’étranges mystères entre les deux monts et les îles de Chausey.

Ce sont des villages entiers, ensevelis sous les flots, des villages avec leurs chaumières et le clocher de leur église. Des villages dont les noms sont Bourg-neuf, Tommen, Saint-Étienne-en-Paluel, Saint-Louis, Mauny, Épinac, La Feillette, et d’autres encore. Des villages noyés dont les cadavres pâles gisent dans le sable avec les débris des naufrages et les grands troncs de la forêt de Scissy.

Tout le long de nos côtes, depuis Granville jusqu’au cap Fréhel, derrière Saint-Malo, la mer conquérante a porté ses sables stériles sur l’opulence féconde des guérets.

Çà et là, un rocher reste debout, dressant sa tête noire au-dessus des vagues, et gardant son ancien nom de fief, de château de village. Car la terre a ses ossements comme nous, et la montagne décédée laisse après soi un squelette de pierre.

Les Malouins jettent leurs filets de pêche sur les belles prairies de Césembre, et ce lieu austère où Chateaubriand a voulu son tombeau, le Grand-Bé, était autrefois le centre d’un jardin magnifique.

Nul ne saurait dire exactement le temps que la mer a mis à couvrir ces contrées. La lutte était commencée avant l’ère chrétienne. On sait que les bocages druidiques s’étendaient à huit ou dix lieues en avant de nos côtes. Plus tard, la forêt de Scissy planta ses derniers chênes sur les falaises de Chausey.

En ce temps-là, le Couesnon était un grand fleuve que Ptolémée et Ammien Marcellin confondaient en vérité avec la Seine. Ce Couesnon marneux, ce Couesnon grisâtre, cette rivière folle qui s’égare dans les grèves comme une coquetière ivre.
C’était un fleuve fier, suzerain de la Selune et suzerain de la Sée, qui lui apportaient le tribut de leurs eaux. Son embouchure était au-delà des montagnes de Chausey qui forment maintenant un archipel.

Il passait alors à droite du Mont-Saint-Michel longeant les côtes actuelles de la Manche.

Ce fut bien longtemps après qu’il fit sa première folie, sautant de l’est à l’ouest, enlevant le Mont à la Bretagne pour le donner à la Normandie.

Li Couësnon a fait folie Si est le Mont en Normandie…

Rochers[4]

Ernest Renan, Souvenirs d’Enfance et de Jeunesse
Les cloches d’Is

Une des légendes les plus répandues en Bretagne est celle d’une prétendue ville d’Is, qui, à une époque inconnue, aurait été engloutie par la mer. On montre, à divers endroits de la côte, l’emplacement de cette cité fabuleuse, et les pêcheurs vous en font d’étranges récits. Les jours de tempête, assurent-ils, on voit, dans le creux des vagues, le sommet des flèches de ses églises ; les jours de calme, on entend monter de l’abîme le son de ses cloches, modulant l’hymne du jour. Il me semble souvent que J’ai au fond du coeur une ville d’Is qui sonne encore des cloches obstinées à convoquer aux offices sacrés des fidèles qui n’entendent plus. Parfois je m’arrête pour prêter l’oreille à ces tremblantes vibrations, qui me paraissent venir de profondeurs infinies, comme des voix d’un autre monde. Aux cloches de la vieillesse surtout, j’ai pris plaisir, pendant le repos de l’été, à recueillir ces bruits lointains d’une Atlantide disparue.

Prière sur l’Acropole

Je suis né…

Je suis né déesse aux yeux bleus, de parents barbares, chez les Cimmériens bons et vertueux qui habitent au bord d’une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battue par les orages. On y connaît à peine le soleil ; les fleurs sont les mousses marines, les algues et les coquillages coloriés qu’on trouve au fond des baies solitaires. Les nuages y paraissent sans couleur, et la joie même y est un peu triste, mais des fontaines d’eau froide y sortent du rocher, et les yeux des jeunes filles y sont comme ces vertes fontaines où, des fonds d’herbes ondulées, se mire le ciel.

« Mes pères, aussi loin que nous pouvons remonter, étaient voués aux navigations lointaines, dans les mers que tes Argonautes ne connurent pas. J’entendis, quand j’étais jeune, les chansons des voyages polaires ; je fus bercé au souvenir des glaces flottantes, des mers brumeuses semblables à du lait, des îles peuplées d’oiseaux qui chantent à leurs heures et qui, prenant leur volée tous ensemble, obscurcissent le ciel. »

Rochers[6]

Jean Guéhenno

Is est là, à n’en pas douter, derrière les Sept- Iles, entre Perros-Guirec et Saint-Gildas.

Rochers[12]

Michelet

Tous ces rochers que vous voyez, ce sont des villes englouties, c’est Douarnenez, c’est ls, la Sodome bretonne, ces deux corbeaux, qui vont toujours volant lourdement au rivage, ne sont rien autre que les âmes du roi Grallon et de sa fille; et ces sifflements qu’on croirait ceux de la tempête, sont les crierien, ombres des naufragés qui demandent la sépulture.

Rochers[10]

Jean Markale, Pierre-Jakez Hélias,

La sagesse de la terre (petite bibliothèque Payot, 1978)

Nous sommes bien en présence d’un conflit entre deux types de civilisation, une païenne, représentée par Dahud, et, d’un autre côté, nous avons Saint-Korentin et Saint-Gwénolé, amis de Gradlon, roi de type patriarcal indo-européen. Il y a rupture et conflit. Ce conflit ne peut se terminer que tragiquement.(…)

Ce qui est frappant dans cette légende, répandue sur toutes les côtes bretonnes, comme en Irlande et en Suède c’est que nous sommes en présence de faits géologiques et historiques reconnus mais qui se sont déroulés un peu partout dans le monde. Après tout, de tels engloutissements ne sont pas rares. Cette légende représente un fond de vérité, ce qui prouverait, encore une fois, que les croyances Populaires ne sont pas vaines, mais toujours appuyées sur des faits réels… »

Rochers[8]

René Thévenin

Les pays légendaire (pages 88 et 89)

. . .aux plus basses mers l’équinoxe, près de la pointe du Van et de Trongueur, dans la baie de Douarnenez, on a retrouvé, dès le XVIème siècle, les avenues submergées et les murs de la ville. Celle-ci, d’ailleurs, a gardé une certaine célébrité grace aux personnages qu’on y a fait vivre, à tort ou à raison. Mais elle n’est pas la seule des mêmes régions qui ait subi, dans les mêmes temps, le même sort. Près de Plogoff, on aperçoit distinctement, sous la surface, des menhirs, des murailles, des routes dallées. On a retrouvé d’autres villes submergées au fond de l’Aber Vrac’h, près d’Erquy, etc. Et les annales du temps de Charlemagne nous apprennent que, dans la baie de Cancale, la citadelle de Gardoine ou Gardone, qui avait osé résister victorieusement au grand empereur et ainsi encouru sa malédiction, fut à son tour engloutie sous les flots par la colère de Dieu ».

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