La grammaire narrative à 360° et l’espace/temps

SYMPOSIUM
INTERNATIONAL
« LA PENSÉE
ACTIVE DE
GILLES DELEUZE »

La « pensée active » ou comment comprendre et redonner du mouvement aux concepts deleuziens. Réfléchir sur l’activité d’une pensée signifie questionner l’actualité de ses concepts. Quels approfondissements théoriques est-il possible de construire ? Quelles bifurcations philosophiques est-il possible d’apporter à l’épaisseur d’un concept ? Qu’en est-il de l’actualité des concepts deleuziens dans différentes disciplines – Architecture, Cinéma, Art, Littérature – dont l’acte de création en constitue « un bloc de sensations, c’est-à-dire un composé de percepts et d’affects»

La grammaire narrative à 360° et l’espace/temps.

Peu avant la pandémie, juste avant de franchir les années 20, nous avions monté un projet de web série avec le réalisateur Marc Caro et notre studio à l’Ecole d’architecture de Nantes. L’histoire est celle d’un équipage de deux humains et d’un robot en partance pour la Lune alors que la Compagnie qui les finance et dirige, se fait continuellement rachetée ce qui perturbe en permanence les objectifs de la mission.

Les décors complets à 360° sont plutôt rares et au moment où nous en faisions l’inventaire, nous n’en avions pas trouvé d’équivalent. C’est que les contrainte d’un tournage à 360° sont importantes et que de se mettre dans un décor complet et fermé rend la chose plus complexe encore.

Un film à 360° donne ou donnerait au spectateur l’illusion de pouvoir franchir la fameuse ligne de partage des eaux, de passer de l’autre côté de l’écran, d’entrer littéralement dans l’espace diégétique. Toutefois, la présence au sein de l’espace de narration ne signifie pas forcément de prendre part à l’action, c’est une position de voyeur, une position d’impossibilité d’agir, de peser sur le dérouler du récit.

Cela n’est pas sans rappeler finalement la situation de Jeff Jefferies dans « fenêtre sur cour » qu’Alfred Hitchcock a proposé en 1956 où le personnage principal observe son monde depuis son appartement, immobilisé dans sa chaise roulante. Il est présent, ne peut agir, délègue sa capacité d’initiative, ce qui place ce film au cœur des commentaires de la rupture des liens sensori-moteurs.

Mais revenons à notre série à 360°. Nous allons le voir, la grammaire filmique classique ne peut pas réellement s’appliquer aux films à 360°. L’absence d’un cadre fixe et contrôlé fait que la composition, la valeur des plans, les déplacements (même s’ils sont possibles) ne sont plus du ressort de la réalisation mais des spectateurs.

Autre conséquence, le montage disparait au profit d’une répartition des regards dans l’espace diégétique et par le rythme interne du jeu des personnages. Finalement, nous réalisons que cet objet filmique tient plus du théâtre que du cinéma et comme au théâtre, ce sont les positions, mouvements et le jeu qui imposent les logiques séquentielles des actions.

Finalement, la scène d’un film à 360° est comme une scène théâtrale qui s’enroulerait autour d’un spectateur unique, une vue uni centrée, une sorte de théâtre à frontalité circulaire.

Dans une grammaire filmique classique, le montage organise l’espace et le temps. Nous savons que Deleuze va globalement identifier de façon chronologique, les montages organiques, dialectiques, quantitatifs et expressionnistes. Raconter une histoire, c’est positionner son audience dans le fil de la narration, en avance, synchrone ou en retard, et créer ainsi un jeu d’anticipation, de surprises, d’attentes que la réalisation cherchera, si elle a du talent, à malmener.

Il y a peu de théorisation pour ce qui concerne la narration à 360° et l’on retiendra la proposition de Jessica Brillhart qui a énoncé le concept de « montage expérimental probabiliste » (Probabilistic Experiential Editing ). Il s’agit de repérer dans l’espace autour de soi des Points d’Intérêt qu’il faut repérer et atteindre pour faire progresser l’action.

Le cours métrage Lock Your Doors, proposé en 2015 par Jeremy Sciarappa est un exemple parfait ce que le film à 360° produit de possibilités narratives lorsque le « montage » est laissé au spectateur.  Le pitch est simple, un assassin entre dans une maison et assassine son occupante. Toute l’astuce est dans la répartition des protagonistes dans l’espace.

Selon comment le spectateur axe son regard, il sera en avance, synchrone ou en retard sur le déroulement de l’action et sur l’interaction entre l’assassin et sa future victime, il se mettra de plus en phase avec l’un ou l’autre des personnages ignorant ce qu’il advient à l’autre.

En termes de représentation, et donc de préparation au tournage, le défi est de déplier l’horizon de l’action en deux dimensions et d’organiser ainsi les déplacements, la chorégraphie des protagonistes.

Dans cet exemple, l’appartement est parfaitement choisi en ce qu’il recèle des espaces masqués, des espaces « hors la vue » qui sont de fait les hors-champs des films à 360°.

Dans un espace écran, le hors-champ se situe hors de la pyramide de projection du cadre de la caméra. Lorsque l’on manipule une caméra à 360°,  ce n’est plus une pyramide  mais une sphère qui se déploie depuis le point de filmage. Les obstacles que l’on va créer vont déterminer des ombres visuelles, des hors la vue qui seront nos nouveaux hors-champs.

Lorsque l’on réalise un décor, le hors-champ prend une autre fonction, c’est celle de la place de la technique. En effet, si l’analyse des contraintes techniques échappe souvent aux analyses filmiques, celles-là sont bien à prendre en compte quand il s’agit de passer à la réalisation.

Le hors-champ est déterminé par le cadre détermine une portion d’espace qui se prolonge dans l’imaginaire des spectateurs. Le prolongement spatial se fait d’autant plus facilement que le cadre ne limite pas l’espace sonore, il existe selon différents mode (voir Chion) et depuis l’avènement du son 3D, il existe pleinement hors du champ visuel ;

Pour le décor de Marc Caro, nous avons utilisé la technique des Isovists pour déterminer à l’avance les volumes hors la vue, ces ombres visuelles, afin d’y cacher des éléments techniques mais aussi pour déterminer la taille des découvertes, les découvertes sont les paysages qui apparaissent par les fenêtres d’un décor.

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