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Gavrinis, une approche multiscalaire

http://www.rupestre.net/tracce/?p=4342

A multiscale approach: the workflow committed on the Gavrinis island cairn gathers archaeologists and archaeometrists, architects and surveyors, to acquire, handle and share information relative to a passage-tomb built at the beginning of the IVth millennium, one of the most famous of the European monumental heritage.

by S. Cassen, L. Lescop, V. Grimaud, G. Querré, B. Sune

Une approche multiscalaire du monument néolithique
de Gavrinis (Larmor-Baden, Morbihan).
Campagne d’acquisition 2011

S. Cassen [1], L. Lescop [2], V. Grimaud [3], G. Querré [4], B. Suner [5]

Le programme engagé sur le cairn de l’île de Gavrinis réunit des archéologues et des archéomètres, des architectes et des géomètres, pour acquérir, traiter et restituer des informations relatives à une tombe à couloir édifiée au début du IVe millénaire, une des plus fameuses du patrimoine monumental européen.

Gavrinis: cairn, éboulis et partie restaurée, vue frontale sud et latérale nord

Après sa fermeture (vers 3400 BCE), le monument fut évidemment reconnu par le regard des hommes, à différentes époques, mais il ne survient sur le devant de la scène savante qu’avec les explorations du XIXe siècle (en 1832 tout d’abord, puis entre 1884 et 1886 avec G. de Closmadeuc). Les contours du cairn/tumulus enveloppant le couloir et la chambre ne seront que plus tardivement restitués (dans les années 70, par le Service régional de l’archéologie de Bretagne dirigé par C.-T. Le Roux), et démontreront une structuration interne et externe au moyen de murs et parements successifs, plus ou moins concentriques. Ces fouilles prolongées par des restaurations ont elles-mêmes permis la découverte d’éléments architectoniques majeurs et de nouvelles gravures spectaculaires, mais à ce jour inaccessibles au public (dos des dalles de la chambre, face supérieure de la dalle de couverture), et publiées de façon incomplète.

L’objectif du programme est de requalifier ces représentations à partir d’une grille de lecture proposée ces dernières années, en constituant tout d’abord un nouveau corpus des tracés gravés, compris dans un contexte architectural et replacés dans le volume des supports. L’enregistrement des données topographiques, archéologiques, minéralogiques et acoustiques du tumulus et de la tombe à couloir inscrite à l’intérieur, permet d’assurer une représentation de l’architecture, d’une part, des signes gravés (éventuellement peints), d’autre part. Nous souhaitons améliorer par cette démarche le rapport constant en archéologie, et notamment dans toute étude iconographique, entre représentation et interprétation.

Gavrinis: cairn, éboulis et partie restaurée, projection latérale nord

Le relevé topographique a consisté en un enregistrement de données spatiales géoréférencées (112 millions de points), en jouant sur différentes échelles d’acquisition. Cette étape a permis de balayer le cairn dans son ensemble à l’aide d’un premier scanner type temps de vol (Leica Geosystems C10), en élargissant l’acquisition aux sols environnants ; les parois de la tombe et la face supérieure de la dalle de la couverture ont été enregistrées au moyen d’un second scanner à résolution infra millimétrique (Nikon Krypton K610). Différents logiciels traitant les nuages de points ont été testés pour retenir le meilleur outil permettant ensuite de restituer les gravures par le biais d’une tablette graphique.

Gavrinis, Orthostate L6, lasergrammétrie

Aux trois parties qui décomposent classiquement le processus de traitement des données (génération d’un maillage haute définition à partir du nuage de points ; traitement de ce maillage pour extraire les gravures en plan ; mise en évidence de la morphologie de l’orthostate) nous avons ajouté la métrologie des gravures en vue d’étudier l’altération différentielle des tracés. Notre hypothèse stipule, en effet, que plusieurs orthostates dans le couloir et la chambre sont en position de réemploi, et par conséquent ont subi une première utilisation en tant que stèles signifiantes à l’air libre. Aux prises avec le phénomène naturel de la météorisation, souvent accentué en bord de mer, les surfaces s’altèrent différemment selon leur exposition aux agents atmosphériques.

Concernant les signes gravés, un tableau comparatif des méthodes est proposé qui permet d’apprécier avantages et inconvénients des anciens procédés (estampage, calque, cellophane en polyéthylène) par rapport aux nouvelles techniques (photographie numérique, scanner 3D). S’il est incontestable que le scanner permet enfin de restituer les gravures dans le relief fidèle du support, puis dans l’ordre architectural du monument, la précision d’enregistrement des tracés en surface d’une roche grenue (granite) ne dépasse pas le degré atteint par les protocoles mis au points au LARA ces dernières années, une méthode faisant appel à la superposition de photographies numériques illuminées selon différentes incidences. Ces deux approches sont par conséquent complémentaires.

Une campagne de mesures au spectromètre à fluorescence X a ensuite permis de tester les colorations suspectes repérées dès 2009 sur plusieurs orthostates. Afin d’en évaluer l’étendue, un traitement infographique des photographies prises sur plusieurs années (1984-2011) a été produit pour comparaison (procédé DStretch).

Enfin, une approche de l’environnement sonore du site a été entreprise afin de ne pas limiter la qualification des abords aux seules données visuelles et géométriques. Ces éléments participeront de la mise en situation dans le contexte actuel des restitutions virtuelles du monument, dans l’exploitation et la communication des données auprès du public.

A partir de ces modèles numériques, on préconise la constitution d’une maquette 3D générale du monument, qui ouvre aux chercheurs d’importantes possibilités d’analyses et d’interprétation. Au-delà du travail scientifique (corpus renouvelé des signes, chronologie des tracés, entités sémiotiques, déroulé des figures, mesure de l’altération différentielle des supports, recherche régionale de formes homothétiques, validation d’hypothèses architecturales, simulations de restauration, etc.), la maquette peut être exploitée pour la communication vers le public (images, visites virtuelles, réalité augmentée, objets en résine, etc.). Une analyse iconologique préliminaire d’un signe (hache polie) a par ailleurs été proposée afin d’anticiper le scénario explicatif final.


[1] CNRS, Laboratoire de recherches archéologiques (LARA, UMR6566), Université de Nantes, 44312 Nantes ; serge.cassen@univ-nantes.fr

[2]Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes, Groupe d’étude et de recherche scénologique en architecture (GERSA), 6 quai François Mitterrand, 44262 Nantes ; Laurent.lescop@nantes.archi.fr

[3]Doctorant LARA et GERSA ; valentin.grimaud@univ-nantes.fr

[4]Laboratoire d’Archéosciences (UMR6566), Université de Rennes 1, 35042 ; guirec.querre@univ-rennes1.fr

[5]Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes, GERSA ; bruno.suner@nantes.archi.fr

Larmor-Baden. Deux chercheurs nantais décryptent l’île de Gavrinis

Patrimoine mercredi 21 mars 2012

  • C’est un monument gravé. Mieux, une œuvre artistique dont l’expression graphique, la composition ont déjà inspiré de nombreux artistes, comme William Turner, Henri Moore, Richard Long, Janos Ber. Ces sculptures ont été réalisées par un Michel Ange du Néolithique. La tombe à couloir de Gavrinis a été édifiée environ 5 000 ans avant Jésus-Christ.

    Joyau de l’architecture

    Dans le golfe du Morbihan, le joyau de l’architecture mégalithique, situé sur l’île de Gavrinis, est visité par 30 000 personnes par an (et pas plus, afin de ne pas trop abîmer le lieu). Bientôt, il pourra être vu sous un jour nouveau grâce aux outils les plus modernes.

    Deux chercheurs nantais

    Serge Cassen, l’archéologue, et Laurent Lescop, l’architecte, deux chercheurs nantais, proposent, pour compléter la visite sur le terrain, une visite virtuelle interactive. Une première projection sur écran circulaire a eu lieu hier, en tout petit comité, à l’école d’architecture de Nantes. Les détails des sculptures sont apparus. Sculptures de flèches, de haches ou de carquois sont identifiables.

    Lien entre Locmariaquer et Gavrinis

    Ce projet démarre par une déception. Celle de Serge Cassen, archéologue, chercheur au CNRS dépité par la restauration du dolmen de la Table des marchands, à Locmariaquer : «Ce chantier avait été mal coordonné avec les archéologues. »

    Alors, il s’est dit que pour le cairn de Gavrinis, il fallait à tout prix qu’archéologues et architectes travaillent main dans la main. D’autant que le cairn de Gavrinis et la Table des marchands ont une origine commune.

    Un grand menhir sculpté

    Au départ, il y a un grand menhir sculpté qui est tombé et s’est brisé, vraisemblablement au cinquième millénaire avant Jésus-Christ. Un morceau a servi à couvrir la Table des marchands.

    L’autre fragment a pris la direction de Gavrinis pour faire la couverture du cairn. Au néolithique, Gavrinis était accessible à pied, même si la rivière d’Auray bordait déjà l’endroit.

    105 millions de points relevés

    Le travail entrepris par Serge Cassen et Laurent Lescop vise à décrypter les signaux gravés au sein de la tombe monumentale de Gavrinis, particulièrement sur les dalles dressées, appelées des orthostates, qui forment le couloir. Et cela y compris dans la partie interdite au public ; une vraie réserve archéologique qu’il faut sauvegarder, selon Serge Cassen.

    « On a commencé par acquérir des données, centimètre par centimètre et même à l’échelle millimétrique grâce au soutien de différents ingénieurs. Un vrai travail d’équipe », explique Laurent Lescop. À l’aide d’un scanner et d’un appareil laser, 105 millions de points ont été relevés.

    Chromonographie et photographie numérique

    Avec d’autres techniques, notamment la chromonographie ou la photographie numérique, ce « nuage de points » permet d’avoir une vision précise du contour des gravures. « On peut recomposer le geste du sculpteur. Son cheminement précis. Et même deviner s’il était gaucher ou droitier. » Mais il reste encore beaucoup à faire pour déchiffrer le mythe qui a peut-être inspiré l’artiste, ou les artistes, du Néolithique.

    Poursuite du travail l’été prochain

    L’été prochain, les scientifiques vont poursuivre leur travail. Sur le site notamment. Par le biais de démonstrations : « On va chercher à retrouver les gestes des graveurs du Néolithique sur des fragments de granit. » A voir lors des visites touristiques organisées au départ de Larmor-Baden.

    Ouverture de Gavrinis du 29 mars au 6 novembre, départ de Larmor-Baden.

    Philippe GAMBERT