A Marcel,

C’est souvent comme cela, le temps n’attend pas les mots qui doivent se dire, les compliments qui doivent s’exprimer, les reproches que l’on souhaite adresser, l’affection que l’on veut témoigner. Ces derniers temps Marcel était très occupé, il passait en coup de vent, entre deux nouveaux projets, la plume sur cinq ou six textes, il était difficile de l’accrocher, de passer un message, puis le silence s’est installé et puis il est parti.

Marcel Freydefont
Marcel Freydefont

Et nous restons comme cela, ballant, les mots inutiles, un peu perdus.

Concernant une personnalité du monde du théâtre, les métaphores sont faciles et le vocabulaire immédiat, il y a du drame, de la comédie, des actes et des jeux, mais tout cela est écrit et cela fige la mémoire…laissons se construire la légende, oralisons le récit, que chacun vienne enrichir l’ode de faits légendaires, de vérités et de mensonges, de souvenirs brumeux et lumineux, que nos mémoires se partagent, qu’elles s’échangent. Le processus est déjà en cours, puisque la première presse l’a annoncé comme directeur des écoles d’architecture de Nantes et Clermont-Ferrand… !

Pour une personnalité aussi riche que celle de Marcel, chacun ne peut avoir accès qu’à une bulle de quelque chose, une bulle de l’enseignant, une bulle du chercheur, une bulle du scénographe, une bulle de l’écrivain, une bulle du familier, normal d’avoir autant de bulles pour un personnage aussi pétillant. Et oui, chaque bulle élevait chacun vers des nouvelles hauteurs pour éclater de plaisirs partagés.

On dit toujours que personne n’est irremplaçable, c’est vrai, et cela fâche toujours les retraités lorsqu’ils cèdent leur place à d’autres vieux moins vieux, comme c’est le cas dans les écoles. Oh Marcel l’a bien compris qu’il n’était pas irremplaçable, mais il a fallu quand même s’y mettre à plusieurs : quelqu’un pour la pédagogie quelqu’un pour la recherche, quelqu’un pour la prospective, quelqu’un pour le rayonnement national et international, quelqu’un pour le métier, quelqu’un pour les thèses, quelqu’un pour l’histoire du théâtre, il faut encore trouver quelqu’un pour aller agiter le Ministère, mais là-bas, personne n’est pressé que cela arrive et quelqu’un pour écrire et encore écrire des livres, des articles, des chroniques et des pamphlets….Alors certes, personnes n’est irremplaçable, mais disons-le, certains sont uniques, Marcel est de ceux-là.

Pour nous qui l’avons côtoyé au quotidien, nous en connaissons le bonheur et le prix. Marcel était ce que l’on peut appeler un capaciteur : ce mot n’existe pas, mais il faut vite le faire entrer dans le dictionnaire, pour lui et pour quelques autres ici et là. Un capaciteur c’est quelqu’un qui rend les choses possible, pour qui l’obstacle est une péripétie, le refus un défi et le projet un moteur constamment allumé. Un capaciteur est formé d’énergie pure, infiniment renouvelable. C’est ainsi que s’est développé le DPEA scénographie, c’est comme cela qu’a été régénéré le groupe de recherche GERSA et le département scénographie. Marcel nous a montré que l’enseignement et la recherche se font depuis l’école vers l’extérieur, vers l’attente et la demande, vers la curiosité ou la résistance, vers les métiers, vers les usages, qu’il faut toujours ouvrir plus grands les bras de nos institutions, ne jamais se replier, ne jamais se satisfaire du regard complaisant, ne jamais ne pas tenter le risque.

Bien entendu, les antagonistes ont été nombreux et beaucoup ont compris ce qu’il fallait éviter de faire : d’abord tenter de parler plus fort, fatale erreur car l’homme de théâtre a la voix puissante et l’énoncé tonitruant. Ensuite, inutile d’attendre l’épuisement, il n’est jamais venu, ni le renoncement, ni le ralentissement. Le pire a été de mettre en défi sa culture, ses connaissances ou sa mémoire, nous avons été quelques-uns le voir lutter à un contre dix et l’emporter sans le moindre effort. Il n’y a peut-être que l’hydre administratif qui l’a fait douter avec cette maudite retraite, bataille fourbe, pour laquelle il faut poser les armes pour être mieux défait…

Chacun ira de son souvenir de cette homérisation, les chants s’accumuleront, au fil des années ils seront toujours plus beaux, toujours plus épiques…qu’en sera-t-il de l’Aéroflorale à Dessau ? Voilà un projet de capaciteur : proposer à la cité la plus figée d’Allemagne d’accepter que sur les terres du Bauhaus, se dresse, face à la mairie, la machine volante et ses petits satellites. Que disaient les austères weltmeister du football de cette machine à faire rougir les pommes face à des images pornographiques ou de ce véritable arbre à saucisses ?? Que disait le maire de voir, pour une fois, des yeux étoilés chez ses concitoyens ? Allez, venez, venez avec vos histoires, peu importe la date, le moment ou le lieu, si tout se mélange c’est tout est cohérent, tout est logique, tout est compatible avec tout, tout n’est qu’un vaste projet, un projet de vie…de vie éternelle.

Les récits de chacun, c’est ce qui rend éternel.

Biographie
Après des Études à l’École Régionale des Beaux-arts et à la Faculté des Lettres et sciences humaines de l’université de
Clermont-Ferrand en histoire de l’art et esthétique, il devient scénographe, comédien, metteur en scène ; il réalise 40
spectacles (33 scénographies, 12 mises en scène), entre 1966 et 1987 au sein du Théâtre Universitaire de Clermont
(TUC), devenu à partir de 1976 Les Chiens Jaunes.
En tant qu’enseignant, il fonde en 1984 un CEAA (Certificat d’études approfondies en architecture), le CEA
Architecture et Scénologie, à l’école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand, avec ses collègues
Dominique Troisville et Rémy Bourdier, formation transférée à l’école nationale supérieure d’architecture de Nantes
sous l’intitulé DPEA Scénographie.en 1999.
Son activité de conseil en scénographie et équipements culturels (1989-Années 2000), lui permet d’initier une
collaboration avec la revue spécialisée AS, Actualité de la Scénographie, notamment les dossiers annuels sur les lieux
scéniques avec Bruno Suner dont le recueil sera publié en 1996.
En 1991 , il coordonne un Inventaire des lieux scéniques en Auvergne (théâtres, salles de spectacles, salles polyvalentes,
salles des fêtes) réalisé et publié en 1991, base de données et méthodologie qui serviront de modèle à d’autres études de
ce genre, effectuées à l’initiative de Régions et de Directions Régionales des Affaires Culturelles (Centre, Pays de la
Loire, Poitou-Charentes).
En 1992; il organise un séminaire sur le plan urbain intitulé Scénographie et espaces publics/les lieux de la représentation dans la
ville. Cette même année, le Département scénologie participe à la conception et à l’élaboration d’une exposition
itinérante coproduite par le Centre Georges Pompidou et l’EACF, sur une idée et dans une scénographie de Guy-
Claude François, Dramaturgie/Scénographie, les mots et la matière, Dix scénographies pour Hamlet de Shakespeare présentée à Paris,
Avignon, Lisbonne, Clermont-Ferrand, Pézenas, Mulhouse, Villeurbanne et Nantes.
En 1993, il intervient à Louvain-la-Neuve en Belgique, au Centre d’études Théâtrales et participe à la publication de
nombreux ouvrages dans la collection Études Théâtrales. (1993-2013). Le Département scénologie assure la direction
scientifique du colloque organisé au Puy en Velay par Athéna, association de développement du théâtre en Auvergne,
« Quel avenir pour les théâtres historiques ? Problèmes architecturaux et scénographiques, problèmes financiers »., Cette même année, il
devient Président de Lieux publics, centre national de création des arts de la rue à Marseille, dont le directeur est alors
Michel Crespin, ami de longue date (1993-2001).

En 1996; avec le groupe de la Charte (dont font partie Guy-Claude François, Philippe Marioge, Christine Marest,
Nicolas Sire, Raymond Sarti …), Marcel Freydefont crée l’Union Des Scénographes (UDS) dont il sera pendant plus de
15 années secrétaire général. Cette organisation assure le relais en France de l’OISTAT, (Organisation internationale des
scénographes, techniciens et Architectes de Théâtre)
Son départ pour Nantes, en 1999, accompagne le transfert de la formation professionnelle du DPEA Scénographe.
Dès 2001; en collaboration avec Reso-scéno, l’association du développement de l’enseignement de la scénographie en
France, il participe à la publication de l’ouvrage « Jeunes scénographies : à travers l’enseignement de la scénographie en France »
concernant l’insertion professionnelle des jeunes scénographes
En 2005; Marcel Freydefont est Vice-président de la FAI-AR, Formation avancée itinérante aux arts de la rue à
Marseille, initiée par l’une des figures marquantes des arts de la rue, Michel Crespin. (2005-2016).
En 2006; il est co-fondateur du Groupe d’Étude et de Recherche en Scénologie et Architecture (GERSA) au sein de
l’ensa Nantes; il anime avec ses collègues, chaque année, des séminaires sur la scénographie et l’architecture des lieux
scéniques et lance le séminaire Changement de décors avec la complicité active du théâtre Le Grand T. Au sein de cette
équipe, il sera l’initiateur de nombreux travaux de recherche liés à la scénographie et l’architecture des lieux scéniques, à
la scénographie urbaine et aux arts de la rue, à la scénographie virtuelle et aux outils numériques.
En 2009 ; il devient membre du Conseil d’administration du théâtre régional Le Grand T en tant que personnalité
qualifié.
2011; intégré à l’équipe du programme de recherche régional Valeur(s), il anime l’un des axes de recherche sur la Fabrique
d’un imaginaire urbain (2011-2015)

2012; il participe à l’organisation du colloque « Qu’est-ce que la scénographie » porté par L’École Nationale Supérieur des
Arts-Décoratifs de Paris, animera des tables-rondes et le comité de rédaction. Les actes de la rencontres ont été publiés.
La même année, il est membre du comité technique des experts théâtre de la région des pays de la Loire. (2012- 2014?)
2013 lui offre l’occasion de prendre sa retraite – même s’il reste très engagé dans l’enseignement – et de se consacrer à la
recherche et à la valorisation de la scénographie notamment à travers la préparation du colloque « Place du théâtre, forme de
la ville » dont il est à l’initiative pour 2014 et d’un certain nombre de journées d’études en lien avec ses activités au
GERSA et au sein du programme de recherche VALEUR(s).
2013 est aussi l’année de la première publication de l’ouvrage Scénographes en France : 1975-2012 : diversité́ & mutations.
En 2014; se tient le colloque international « Place du théâtre, forme de la ville » à l’école nationale supérieure d’architecture de
Nantes les 13,14 & 15 novembre. À cette occasion est paru un n° spécial de la revue Place publique qu’il a fortement
accompagné.
En 2015 est Réédité l’ouvrage Scénographes en France : 1975-2012 : diversité́ & mutations, publication de l’ouvrage
Scénographier l’Art aux éditions Canopé.
Bibliographie indicative
– Les lieux scéniques en France, Jean Chollet, Marcel Freydefont, 1996 Actualité de la Scénographie.
– Jean Chollet, Marcel Freydefont, Claire David, La scénographie en France, AFAA et Actualité de la
Scénographie n°62, Paris, 1993.
– Marcel Freydefont (rédaction en chef et textes introductifs), Jeunes scénographies : à travers
l’enseignement de la scénographie en France. Catalogue de l’exposition coproduite par Réso-Scéno,
association nationale de développement de l’enseignement de la scénographie [Lyon et l’association Jean
Vilar, Réso-scéno association Jean Vilar, Avignon, 2000.
– Luc Boucris, Marcel Freydefont (Direction) Arts de la scène, scène des arts. Singularités nouvelles,
nouvelles identités. Volume II, Limites, horizon, découvertes : milles plateaux. Revue Études
théâtrales, n° 28 et 29, Louvain la Neuve, 2004.
– Marcel Freydefont, Petit traité de scénographie, Éditions Joca Seria, Grand T, Nantes, 2007.
– Robert Abirached (direction), Jean Pierre Sarrazac, Gérard Liéber, Béatrice Picon-Vallin, Jean-Loup Rivière,
Marcel Freydefont, Denis Guénoun, Le théâtre français du XXe siècle, Anthologie de l’Avant-scène
théâtre, Paris, 2011. (Marcel Freydefont « Du décor à la scénographie » avec un cahier d’illustration).
– Faire la lumière, dossier réalisé par Chantal Guinebault-Szlamowicz, avec Luc Boucris, Jean Chollet, Marcel
Freydefont, revue Théâtre/Public, n°185, Gennevilliers, 2007.
– Marcel Freydefont, Dany Porché, Lectures de la scénographie (avec des contributions de Chantal
Gaiddon, François Tanguy, François Delarozière, Daniel Jeanneteau), Carnets du pôle de ressources, Editions
Scérén, CRDP pays de Loire, Nantes, 2007.
– Marcel Freydefont, Danièle Pauly (Direction), Construire pour le temps d’un regard – Guy-Claude
François, scénographe, catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Nantes, Editions Fage, Lyon,
2009.
– La scénographie (collectif), Théâtre Aujourd’hui n°13, Scérén éditeur CNDP, Paris 2012.
– Luc. Boucris, Marcel. Freydefont, Véronique. Lemaire, et Raymond. Sarti, Qu’est-ce que la scénographie ?
N°54. Pratiques et enseignements. Études Théâtrales, Louvain-la-Neuve. 2012.
– Boucris L, Freydefont M. Scénographes en France: 1975-2012 : diversité & mutations. Actes Sud, Arles,
2013, (2015).

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